Cynisme commercial

novembre 28, 2012

Si vous achetez telle marque de café, vous offrirez, je cite, « bien plus qu’une tasse de café à ces démunis, vous leur offrez de la chaleur humaine ». Chaque fois que vous achèterez un paquet, vous offrirez deux tasses de café. Et à chaque 10 « like » ou « share », une tasse sera offerte également.

Si vous achetez telle marque de langes, vous vaccinerez un enfant contre le tétanos… et pour tout bisou envoyé sur le site, un vaccin sera offert également.

Je trouve tout ça d’un cynisme ahurissant : des marques, parmi les plus chères du marché, ont fait des plus démunis des slogans publicitaires. Des gens qui ne pourront jamais se les offrir font à leur insu (c’est combien, un cachet de comédien pour une pub?) la promotion de produits qui n’ont franchement pas besoin de nous pour leur offrir du café ou des vaccins.

Invités à consommer ce qu’il y a de plus cher (alors qu’en consommant moins cher, on épargnerait très vite de quoi offrir plein de choses à plein de gens), nous le sommes aussi à cliquer sur des sites qui partant se rappellent à nous.

Alors bien sûr, on sait que, plongés au quotidien dans la misère du monde, ceux qui tentent de la rendre plus supportable pour ceux qui la subissent ne peuvent pas refuser de telles offres.

Notamment parce qu’il nous est plus facile, à nous consommateurs, d’acheter du café et de laisser une marque se charger de la démarche que de faire nous-mêmes la démarche.

Aussi parce que, fauchés que nous sommes, nous achèterons plus volontiers une marque plus chère que bien d’autres si, ce partant, nous faisons une bonne action.

Chez certains, l’intention est probablement louable et part d’un bon sentiment. Chez les consommateurs qui jouent le jeu aussi.

Tout ça ne serait qu’une stratégie commerciale de plus si pour la servir il n’y avait pas des gens à terre. Et ça, fondamentalement, ça me dérange.

23 Réponses to “Cynisme commercial”

  1. Anis said

    de nos jours c’est faire oeuvre de salubrité publique de rappeler ce genre d’infos.. je me demande si ça existe des gens qui ont pour métier l’optimisation financière et éthique du caddy

  2. Lionel said

    Et bien j’aimerais avoir votre avis sur notre démarche. Ça m’intéresse car notre activité (nous sommes une société) est de créer des actions qui impliquent un maximum de PME et de TPE dans des opérations de solidarités. Pour parvenir à les impliquer, nous mettons en avant le bénéfice qu’ils peuvent en retirer sur le plan professionnel (diffusion d’une image positive, etc.)

    C’est évidemment nécessaire si on veut sortir du mécénat que peux d’entre eux peuvent pratiquer. Notre objectif est clairement d’offrir un retour sur les DEUX terrains en même temps (le solidaire ET le professionnel). Je n’ai pas l’impression de faire preuve du moindre cynisme. Ni d’inciter nos clients au cynisme.

    Par contre nous essayons en permanence de nous protéger de toute récupération par des grosses boites opportunistes. Mais c’est là que la frontière est difficile à placer. Il est plus aisé de se poser en moralisateur que de déterminer qui est sincère et qui ne l’est pas. Qui participe avant tout pour augmenter ses bénéfices sur le dos de la misère humaine. Et qui est sincèrement heureux de pouvoir répondre à ses besoins professionnels (légitimes) dans un cadre qui permet de construire un monde un peu meilleur.

    Si vous avez des pistes, je suis preneur.

    Voici deux liens. Un vers notre société, un autre vers une action qui nous permet d’associer chaque année des dizaines de TPE et de PME au Noël des enfants hospitalisés. Merci de me dire ce que vous en pensez. S’il y a lieu de faire un « tri » parmi nos clients, pourriez-vous aussi me donner des pistes ? Je suis demandeur.

    http://www.good-4you.net et http://www.messages-de-noel.net

    Merci de me répondre 🙂

    • annelowenthal said

      Je vais regarder ça attentivement, mais il faut que je prenne (trouve) le temps. Je peux déjà apporter une nuance de taille, qui est dans mon texte: « la promotion de produits qui n’ont franchement pas besoin de nous pour leur offrir du café ou des vaccins ».
      Pour le reste, ça mérite effectivement réflexion et débat! Je vous reviens!

      • Lionel said

        Super. Je ne suis pas toujours d’accord avec tout, mais j’aime beaucoup ce que vous faites, et votre avis m’intéresse donc doublement.

    • hans said

      cela s’appelle « de la récupération » et ce n’est pas très honorable; comme vous devriez le savoir la récupération consiste à profiter d’une cause ou image noble ou positive à son profit personnel; que cela soit organisé par une agence n’ôte pas à la démarche son xaractère nauséabond, bien au contraire!

      • Lionel said

        Cela s’appelle un procès d’intention. Un jugement moral qui consiste à considérer que la seule explication plausible est que ce qui nous motiverait serait forcément l’enrichissement personnel, et que le bénéfice social ne serait qu’un vil moyen pour y parvenir. D’où l’utilisation facile de mots tels que « nauséabonds ».

      • annelowenthal said

        Ben oui, d’ailleurs inviter les gens à cliquer et partager un site, c’est complètement désintéressé!

      • Lionel said

        Bien sûr que non puisque on est une société. Mais c’est justement le propos : il est possible de gagner sa vie honorablement et de créer de l’emploi dans un cadre qui génère de la solidarité. Cela de façon sincère, transparente et avec un plaisir tout aussi authentique que dans l’associatif. Je me trompe ou vous considérez aussi que cela est impossible par nature, Anne ?

      • annelowenthal said

        Bien sûr que c’est possible. Ceci dit, je ne vois pas trop le rapport entre ça et ce qui nous occupe.

      • Lionel said

        Il me semble justement que c’est au cœur du sujet. Car c’est bien l’intention qui fait le cynisme. Comment fait-on pour séparer ceux qui « utilisent » ou « récupèrent » la misère ou la détresse des autres AVANT TOUT pour faire de l’argent, de ceux qui gagnent leur vie AVANT TOUT en leur venant en aide. Comment fait-on pour éviter de projeter nos préjugés sur les autres, et faire des raccourcis faciles pour éviter d’avoir à les remettre en question ?

        Hans ne me connait pas. Il n’a pas pris la peine de me contacter ni par mail, ni par téléphone, MAIS il pose un jugement « récupération »; « profiter », « pas honorable », « nauséabond ». Il ne pose aucune question, ne cherche pas à débattre ou à vérifier, il affirme.

        C’est moi qui ne comprend pas très bien votre réaction. J’essaye de l’inviter à ne pas tomber dans une vision réductrice des choses. J’ai peut-être mal lu ou mal perçu, mais votre commentaire « Ben oui, d’ailleurs inviter les gens à cliquer et partager un site, c’est complètement désintéressé! » m’a semblé un brin ironique. Comme si justement il était établi que notre démarche ne pouvait être motivée que par l’intérêt financier avant tout.

        Donc oui, j’ai de nouveau précisé mon propos. Parce que c’est bien le cœur de ce qui occupe cette discussion : comment fait-on pour éviter de faire des procès d’intentions faciles, comme celui que Hans fait ?

        Je suis toujours demandeur d’une piste. Si vous le souhaitez, je suis disponible aussi pour qu’on se rencontre et/ou qu’on lance un débat public. Parce que je crains qu’ici, le débat tourne vers une polémique qui va épuiser mes mimines sur le clavier 😉

      • annelowenthal said

        Pardon, je répondais pour moi, sans tenir compte des propos de Hans 🙂

        Ma dernière réponse était clairement ironique, oui. Disons que ce détail (dans le sens où il ne coûte rien, du moins directement, à celui qui clique) est justement à mes yeux le révélateur du cynisme.

        Car si la marque était désintéressée, elle n’attendrait pas des clics pour faire des dons de café. Et elle n’en ferait pas publicité.

        Là où je peux comprendre la démarche (sans l’approuver, dans le chef d’une marque riche en tout cas), c’est sur le « un paquet acheté, deux tasses offertes ».

        Mais étant donné ce qui précède, ça participe du même marketing. Et ça oui, comme le dit Hans, ça a quelque chose de récupérateur et de nauséabond.

      • annelowenthal said

        Je suis bien sûr ouverte au débat, ici ou irl!

      • Lionel said

        Ok… tant pis pour mes mimines 🙂 mais tant mieux s’il y a la place pour un débat constructif.

        Je comprends complètement le côté « récupérateur », voir « nauséabond » qu’on peut percevoir dans la démarche d’une marque. Mais au nom de quoi devrait-on lui interdire d’avoir un rôle social ? Au nom du fait que cela augmenterait ses ventes ? Qu’on combatte le fait qu’une augmentation de ses ventes se traduisent par une diminution de l’emploi, ok. Mais ça, c’est un AUTRE combat. Et là, je suis pour pour pour 🙂

        Mais si les sociétés ou les marques qui s’impliquent dans une démarche socialement active voient leurs ventes augmenter, est-ce que cela n’est pas la preuve qu’il y a une pression positive de la part du public ? N’est ce pas justement mieux de voir celles-là s’en sortir mieux que les autres, qui font du marketing sans le moindre gramme d’implication sociale ?

        Encore une fois, je comprend bien l’indignation de celui qui pense qu’une marque ne fait cela QUE parce qu’il y a pression du public. Certains le font probablement et c’est vraiment regrettable. C’est même à gerber. On est d’accord sur cela. Et le citoyen (ou le consommateur) ? Il fait des cliques solidaires AVANT tout parce que c’est gratuit ? Il est donc cynique, lui aussi ? Ou il le fait AVANT TOUT avec le plaisir réel de pouvoir générer de la solidarité ? Comment on fait pour le deviner ???

        Comment être certain que le responsable d’une campagne solidaire n’est pas DOUBLEMENT heureux de pouvoir joindre ses objectifs professionnels à une démarche qui porte des fruits sur le plan humain ? Je veux dire comment être certain AVANT de l’accuser ?

        Un décideur n’a pas d’enfants ? Il ne respire pas le même air pollué ? Il n’a pas suffisamment d’humanité que pour se réjouir de pouvoir apporter un peu (trop peu) de mieux lors d’une famine? Il ne peut donc être qu’un opportuniste cynique ? On a donc « a priori » raison de le soupçonner ou d’insinuer publiquement que sa démarche est avant tout « intéressée » et « nauséabonde » ? Point.

        On en revient au cœur du débat. Quels critères mettre en place pour éviter de faire un procès facile à ceux qui sont (peut-être – et peut-être pas) heureux de voir les choses bouger positivement de l’intérieur ?

        Et surtout, est-ce qu’il faut tirer à boulet rouge sur ceux qui s’y mettent, en les taxant de cyniques, nauséabonds,… ?

        Si c’est oui, on la fait comment, cette nouvelle économie plus morale et plus humaine ? En taxant d’office les « barbus » de l’économie ?

        Ou on cherche à mettre ensemble quelque chose de plus rationnel et de plus objectif ? Mais, là, je cherche aussi. Donnez-moi des vrais propositions, des pistes constructives, des idées qui font avancer les choses 🙂

  3. Chère Anne,
    Je connais quelqu’un qui travaillait dans une grosse multinationale et était relativement content de son sort en se comparant à des amis moins chanceux qui pointaient. Un jour il a eu, c’était il y a plus de 10 ans, une idée saugrenue qui était de convaincre son patron en Belgique que des entreprises devraient aussi agir de manière plus citoyenne et plus généreuse. Cela ne lui a pas valu de primes ni de récompenses mais son idée dure depuis 10 ans.
    Je comprends que le sceptique y voit du cynique. Moi, je crois que les choses ne sont jamais tout-à-fait blanche ou tout-à-fait noire. Mais je crois que chaque individu peut apporter sa pierre à l’édifice d’un monde meilleure. Les uns avec leur plume, leur courage et leur valeurs. D’autres avec les moyens dont ils disposent pourvu qu’ils osent. Commercialement, je crois que la marque de Café en question y gagne de l’estime. Elle n’a pas l’ambition de changer le problème de la pauvreté dans notre pays mais bien d’attire l’attention des gens sur cet état de fait. Chacun peut agir en conscience après. Certains organisent eux-même de la distribution de café. Que beaucoup de citoyens y trouvent un moyen de se donner bonne conscience, sans doute, et alors. Je ne crois pas que tout ce qui est commercial pue et soit cynique. Mais je pense qu’il faut être vigilant, effectivement. Moi, je soutiens activement cette action parce que j’ai connu sa génèse et que je respecte toute initiative si petite soit-elle qui montre une voie vers un monde où la création de valeur ne se fera plus en devant forcément en extraire ailleurs.
    Voilà. Mais je continue à lire avec bonheur ce que tu écris. Ta plume est nécessaire et utile dans ce monde.
    Amicalement,
    Patrick

    • annelowenthal said

      Merci Patrick. Disons que comme je le dis, certains ont sûrement des intentions louables. Personnellement, je n’y vois que du marketing. Du win-win, certes, dans une certaine mesure. Mais je trouve que mettre en avant son action « généreuse », ça a quelque chose de vulgaire, si on ne la met en avant que pour la mettre en avant. Que l’on soit particulier ou entreprise.
      Par contre si cette marque décide d’interpeller le politique, de parler de cette pauvreté qui gagne de plus en plus de monde, de dire son effroi, ok, qu’elle y ajoute cette action. Là, pour moi, ça n’est que pur marketing (encore une fois même si l’intention de départ était louable). Et en tout cas, ça mérite réflexion. Ca exige réflexion, même.
      Parce que cette société qui produit des pauvres, c’est justement au nom du profit qu’elle les produit, et il y a quelque chose de schizophrène là-dedans…

      • Pierre Leroy said

        Cette nuit j’ai fait un rêve : Anne lançait un blog où elle abordait des choses positives et des actions concrètes qu’elle posait. Ce matin, patatra ! Retour à la réalité : réflexion, débat et autres portes ouvertes enfoncées :/
        A demain pour parler des SDF et à la semaine prochaine pour casser du Père Noël en moins de 4000 signes.

      • annelowenthal said

        Vous devriez rêver que vous lisez mon blog, alors! 😉

        J’y parle de plein de choses que je fais. Quand en parler est utile à ce que je fais, hein. Sinon, on pourrait me ranger dans la catégorie que je dénonce.

  4. nathalie delaleeuwe said

    Je suis assez d’accord avec votre analyse sur le charity businness mais ce qui me dérange également c’est de voir que les banques alimentaires ont besoin de plus en plus du public pour être approvisionnées – et l’hiver est la période de tous les appels aux dons. Des entreprises « offrent » leurs stocks souvent de produits mal étiquetés aux banques alimentaires sans en faire de pub mais ça se raréfie en raison de l’amélioration des méthodes de travail. Et donc on est réduit à faire appel à vot’ bon coeur messieurs-dames parce que l’on ne semble pas prêt à mettre une véritable politique d’insertion sociale en place où l’aide alimentaire sera le moyen d’être en contact avec une population qui se cache et qui souvent ne revendique plus ses droits ou qui tout simplement ne peut pas se nourrir avec un RIS.

  5. Paskalp said

    Concernant le cachet d’une comédienne pour une pub, une actrice que je connais avait reçu 6000 euros pour une journée pour une pub knorr (je ne suis pas sur de l’orthographe, ce sont des soupes en sachet) ce qui etait 4 fois plus que son cachet de comédienne dans une pièce jouée au théâtre national (j’ai mis le féminin car sur cette pièce les hommes gagnaient nettement plus que les femmes) et cette infos date de 2006.

  6. Herminejov said

    Lol, j’ai vu la pub pour les couches en France. Je me suis dit chantage affectif!

  7. Pierre Leroy said

    Anne, pour anticiper vos futurs articles, une question : êtes-vous végétarienne ?

  8. Pierre Leroy said

    Anne n’écrit plus : elle fait ses emplettes pour Noël :p

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